On déménage !

6 octobre 2009

Dès aujourd’hui, retrouvez le blog « Les STS en action » sur la plateforme de carnets de recherche en sciences humaines et sociales, Hypothèses. À tout de suite… et n’oubliez pas de mettre à jour vos abonnement RSS et signet !

Lorraine Daston vient de publier dans Critical Inquiry un article qui se penche sur les liens entre les STS et l’histoire des sciences. Le blog du Philadelphia Area Center for History of Science en livre un compte-rendu dont quelques points valent d’être repris. Daston note qu’après une période de vive interaction, l’histoire des sciences et les STS ont divergé dans les années 1990. Leur posture commune de mise à distance (estrangement) de la science contemporaine n’eut plus les mêmes motivations : les STS excluent désormais tout caractère exceptionnel de l’activité scientifique et refusent de donner une place privilégiée aux témoignages des chercheurs ; les historiens des sciences auraient moins de prévention vis-à-vis de la science contemporaine et seraient plutôt enclins à interroger l’historiographie innée des scientifiques et de leur discipline. Travaillant sur des objets plus contemporains, les STS interrogeraient plus la façon dont la science fonctionne que sa nature ; les historiens des sciences, particulièrement ceux étudiant la science pré-moderne, doivent au contraire déterminer aussi bien ce qu’est la science que la façon dont elle était pratiquée. Alors que les STS ont dérivé vers la suspicion, l’histoire s’est concentrée sur la compréhension (Verstehen).

Désormais, les STS semblent bien plus à l’étroit et en péril que l’histoire des sciences, discipline bien établie et nourrie des méthodes de l’histoire générale, quand les STS subsistent aux marges. Sentant que les STS ne sont plus capables d’offrir une vision complète (et non fragmentée) de ce qu’est la science et comment elle fonctionne, Lorraine Daston fait alors un appel à un projet interdisciplinaire, porté par la… philosphie !

Notons que l’excellent blog « Ether Wave Propaganda » nuance quelque peu l’analyse et les conclusions de Lorrain Daston.

Référence : Lorraine Daston, “Science Studies and the History of Science”, Critical Inquiry 35(2009): 805

Deux semaines après que l’essai de vignes transgéniques de l’Inra de Colmar a été détruit, l’Organisation professionnelle de l’agriculture biologique en Alsace a publié un communiqué. On se souvient que ces vignes, expérience réussie de consensus citoyen, faisaient la fierté de l’Inra (et du directeur du centre de Colmar, Jean Masson, qui en parle toujours avec des sanglots dans la voix). Pierre-Benoît Joly, à l’origine de la méthode de délibération et de participation ayant permis l’essai, en a notamment parlé dans la revue Nature.

Mais voilà qu’un individu ayant apparemment agi seul, au mépris du consensus des acteurs locaux et de toutes les précautions entourant l’essai, a mis une fin (provisoire) à cette expérience. La réaction de l’OPABA vaut le détour. Visiblement, ils soutiennent le vandale. Mais surtout, il font de l’essai « autant une recherche sociologique qu’agronomique – sociologique pour tester jusqu’où une profession et une population acceptent une chose imposée dont elles ne veulent pas, et n’ont pas besoin ».

Ce retournement est intéressant et je ne crois pas l’avoir vu avant. En substance, il avance que si le consensus citoyen est autant sous l’emprise des sociologues des sciences, c’est bien que nous sommes dans la recherche sociologique et même pas dans l’application. Et que comme le consensus était local, une affaire d’individus souvent lâchés par leurs organisations respectives, alors il ne peut s’imposer à tous.

Pour la communauté des STS, c’est un coup de semonce : il faut réfléchir aux conséquences de la recherche-action et d’accompagner autant les savoirs STS dans la sphère politique. Car si ces initiatives échouent, qu’adviendra-t-il de la discipline ? Et pour ce blog qui tente d’introduire de la réflexivité dans la recherche et les applications des STS, c’est presque du pain béni !

Dans le cadre de son 70e anniversaire, le CNRS organise le 19 octobre une journée de colloque consacrée à la recherche et au métier de chercheur (inscription obligatoire). On y retrouve l’immanquable table-ronde consacrée au dialogue science-société.

S’ils n’innovent pas dans la forme, au moins le fond est garanti 100 % béton : sous la houlette de Jean-Pierre Alix interviendront Dominique Pestre et Christophe Bonneuil (deux éminents STS-iens), plus une poignée d’autres chercheurs, un député et un journaliste.

En attendant le colloque, dont on suppose qu’il sera très fréquenté mais que la face du monde n’en sera pas changée, on peut se mettre quelques résumés d’intervention sous la dent…


Le Technoprimat

21 août 2009

Via Pyrrhon sur Twitter, je découvre le long article de Jean-Marc L’Hermite publié sur Betapolitique. Ce physicien (CNRS / Université Paul-Sabatier) a profité de ce site de « journalisme citoyen » pour revenir sur les réformes du système d’enseignement et de recherche français, qu’il range sous l’enseigne du « technoprimat ». Cet article grouille de références à des travaux STS, du livre de Bernadette Bensaude-Vincent Les Vertiges de la technoscience à l’article d’Odile Henry sur Henry Le Chatelier (Actes de la recherche en sciences sociales, 2000) en passant par l’article d’Étienne Klein, Vincent Bontems et Alexei Grinbaum sur les nanosciences publié dans Le Débat en 2008.

C’est la loi du genre, ces travaux sont exploités dans un but bien précis — et notons qu’Étienne Klein s’est fendu d’un commentaire dans lequel il réfute la lecture que fait l’auteur de ses écrits.

L’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (l’AFSSET, dont je parlais dans le billet précédent) organisait début juillet un colloque intitulé « Gouverner l’incertitude »,  en compagnie du Réseau risques et société. Le but était de « confronter les apports des acteurs de la recherche en sciences sociales et ceux des acteurs de l’évaluation et de la gestion des risques », dans de très nombreux domaines. J’ai cherché à obtenir un compte-rendu d’un des participants, pour le publier ici, mais ça n’a pas marché. Heureusement, Nathalie Fabre (étudiante en Master 2 « Philosophie de la technique ») a publié sur le site de l’association Vivagora un compte-rendu vers lequel je vous renvoie.

On y apprend notamment que risque émergent et incertitude ne font pas bon ménage avec la gestion « à la papa » des risques, basée sur la science solide et normale de Kuhn. Et malgré l’arrivée de nouvelles méthodes permettant d’approcher l’incertitude, en fonction de nombreuses variables objectives et subjectives (liées au ressenti et à l’acceptabilité par la population par exemple), « il n’existe pour l’heure aucun consensus sur de nouvelles théories susceptibles de remplacer le modèle classique de l’évaluation des risques ».

Deux points importants émergent alors :

  • le besoin de repenser notre conception de la science et de se projeter dans un modèle de « science post-normale » (développé par Silvio Funtowicz et Jérôme Ravetz) qui introduit « la possibilité de multiples approches et de multiples réponses pour une même question : les controverses et les perspectives contradictoires ne devraient pas être réduites, puisqu’elles contribuent à alimenter la réflexion »
  • la mobilisation de nombreux acteurs, offrant une pluralité d’expertises et de points de vue, seule capable de « favoriser la mise en place dans la société de pouvoirs et de contre-pouvoir » et de compléter les zones d’ombre qui persistent immanquablement dans la connaissance.

Le sociologue britannique Brian Wynne a répété comme à son habitude que « loin d’être irrationnelle, l’inquiétude du public serait légitimement provoquée par une suspicion devant l’incapacité de l’expertise à prendre en compte l’ignorance scientifique et les inconnues, donc à traiter des nouveaux dangers ». Ce qui n’a pas empêché le député Alain Gest de promouvoir, lors de la table-ronde finale, de nouvelles méthodes de concertation afin de « gérer l’irrationnel » !

L’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail a rendu au début du mois son avis sur les liens entre cancers et environnement. D’après le communiqué de presse, ce rapport s’est appuyé sur l’expertise collective d’octobre 2008 qui avait mobilisé 40 chercheurs pour analyser 1800 articles de la littérature scientifique, pour la confronter aux « positions des parties compétentes en auditionnant 17 organismes scientifiques et 21 personnalités de la science, des mondes professionnels, des associations et du monde judiciaire, des sciences socio-économiques et des lanceurs d’alerte » — une ouverture à la société civile qui « constitue une première dans ce domaine ».

Parmi les personnalités convoquées, notons la présence de Martine Bungener, économiste et directrice du Cermes, et Jean-Paul Gaudillière, historien de la médecine au sein du même Cermes — qui ont pu représenter les STS. Chaque audition a donné lieu à un compte-rendu, où l’on peut notamment lire ce passage qui éclaire les STS en action :

Jean-Paul Gaudillière précise qu’il a travaillé sur les transformations des savoirs, de la santé et de la médecine au 20e siècle, en particulier sur la recherche biomédicale, la recherche thérapeutique et, au-delà, sur la façon dont sont articulés savoirs, pratique médicale et leurs usages dans d’autres espaces sociaux qui peuvent être technologiques, industriels ou politiques. C’est un travail qui, de manière générale, démarre de la question des savoirs, de leur statut, de leur genèse et de leurs modalités d’usage. C’est comme cela qu’il a été amené à s’intéresser à un certain nombre d’objets qui sont à la croisée de « santé et environnement » et, en particulier à un certain nombre de questions comme la conduite de l’expertise, le débat public et les modalités de la gestion du risque.

Avec ces quelques notes sur la place des STS, parmi les sciences sociales, dans l’expertise environnementale ou médicale :

Le rôle des sciences sociales n’est donc pas seulement d’objectiver et d’aider à comprendre les perceptions du risque mais peut aussi être de questionner la nature et les modalités de genèse des savoirs. Ne serait-ce qu’en rappelant que les savoirs sont situés, que face à un problème il existe rarement une seule « one best way » mais plusieurs registres de preuves, qu’il y a une pluralité d’acteurs compétents, qu’on a tout intérêt à préserver et à organiser les processus d’expertise de manière à préserver cette pluralité.

La question de la politique des substance cancérigènes et des liens entre cancers et environnement est une de celles travaillées actuellement par notre champ, comme en témoigne le colloque « Carcinogens, Mutagens, Reproductive Toxicants: the Politics of Limit Values and Low Doses in the twentieth and twenty-first centuries » organisé par l’université de Strasbourg en mars 2010. Entre recherche et expertise publique, on voit ici les ramifications d’une problématique scientifique dont l’actualité et la visibilité deviennent brûlantes.

Sociologie 2.0

12 juillet 2009

C’est une nouvelle qui concerne la sociologie dans son ensemble, au-delà du champ STS, mais qui vaut la peine d’être signalée ici : la revue Sociologie, qui se lancera en 2010 sous les auspices de Serge Paugam et des PUF, annonce qu’elle proposera une rubrique innovante intitulée « Sociologie 2.0 ».

Dans cette rubrique, la revue publiera, en supplément électronique de chaque numéro de la version papier, un article scientifique original distingué par la mobilisation de procédés faisant un usage avancé de dispositifs numériques innovants d’argumentation, d’administration de la preuve et de documentation de la recherche (techniques d’enrichissement textuel, documents audiovisuels, représentations graphiques animées…).

Amis des cartographies et représentations 2D ou 3D, des matériaux historiques ou sociologiques non-standards, à vous de jouer !

Après Helen Verran, c’est Susan Leigh Star qui donnera une conférence en ligne le 29 juillet, dans le cadre du programme de recherche « STS Mixtures – Materiality, Specificity and Story ». L’occasion d’assister à une intervention de haut niveau (intitulée « Silence and Invisible Work ») et de pouvoir poser des questions depuis n’importe où dans le monde grâce à Twitter. Attention, l’inscription est obligatoire avant vendredi 17.

C’est évidemment une initiative à saluer. Voici l’argument de ce projet de recherche :

How might Science & Technology Studies (STS) attend to empirical ‘details’ – the specificity of evidence and materials – differently, considering their performative effects and ontological enactments?

Un séminaire a déjà été organisé en mars à l’Université de Lancaster et une autre vidéo-conférence aura lieu en octobre. À suivre sur le blog STS Mixtures.

À l’occasion du 6th World Conference of Science Journalism qui se terminait aujourd’hui à Londres, la revue Nature vient de mettre en ligne un dossier spécial proposant plusieurs essais sur l’histoire et l’avenir du journalisme scientifique. Je recommande particulièrement l’article de Boyce Rensberger, ancien reporter scientifique au Washington Post et New York Times et plus récemment, directeur du programme de journalisme scientifique au MIT.

Intitulé « Science journalism: Too close for comfort », son texte se penche sur les liens organiques qui ont existé entre la communauté scientifique (ou militaire) et les journalistes, avec notamment William Laurence (qui couvrit le projet Manhattan pour le New York Times tout en rédigeant des communiqués de presse pour l’armée américaine). Puis vinrent Rachel Carson avec son Silent Spring, et l’accident de la centrale de Three Mile Island, qui ouvrirent la voie au journalisme de chien de garde (« watchdog journalism »).

Rensberger conclut en s’interrogeant sur le devenir du journalisme scientifique à l’ère du numérique et après des coupes claires dans les effectifs. On notera avec intérêt que dans sa réflexion, il mobilise le travail de Bruce V. Lewenstein (professeur de communication scientifique à Cornell University et spécialiste de son histoire), en particulier son article paru dans le premier numéro de la revue Public Understanding of Science.